Concerter :

un long fleuve pas si tranquille… 

La nécessité d’une intelligence collective.

Les transformations politiques, économiques, sociales, numériques encouragent l’émergence d’une pratique de la démocratie plus horizontale et participative. L’urbanisme a formé le terreau de ces mutations, prenant part à la légitimation de la parole citoyenne dans les sphères du politique

Ce nouveau mode de faire a permis la mise en saillance de la parole habitante et de leur expertise. Il a opéré un déplacement des valeurs de la discipline, jadis fondées sur des valeurs d’efficacité technique, et aujourd’hui davantage tournées vers des valeurs d’usage.

Dans ce contexte, la réussite d’un projet urbain et humain n’est plus assurée par la seule implication des acteurs institutionnels et professionnels, mais elle est de plus en plus souvent corrélée à l’adhésion de la population, à son implication dans la transformation de son environnement quotidien.

 

« Aujourd’hui, les citoyens souhaitent participer à la vie de leur ville, ils n’acceptent plus que leur environnement se construise sans eux. Ils ne sont plus de simples électeurs, ils aspirent à être acteurs. »

 

Des habitants urbanistes en devenir

Si le recourt à l’appréciation des citoyens s’est démocratisé auprès de ces mêmes acteurs (institutionnels et professionnels), les habitants ont pu eux accroitre leur compréhension des phénomènes urbains et par extension, de se familiariser avec les démarches de projet.

En l’espace d’une décennie, les citoyens ont ainsi su développer des compétences techniques, construire des logiques argumentatives et renforcer leurs capacités d’initiatives. Cet exercice d’apprentissage collectif a permis d’impulser des postures citoyennes pragmatiques, portées vers la recherche de solutions faisant souvent, sinon toujours, prévaloir l’intérêt général. En outre, le processus de concertation devient plus spontané et aisé pour tous.

À plus large échelle, en faisant bouger les règles du jeu démocratique, les démarches participatives ont contribué à majorer l’intérêt des habitants à la vie de la cité et, en un sens, à la reconstruction d’une certaine idée du collectif. 

« Chaque étape de projet doit donner lieu à l’émergence de pratiques collaboratives inédites » 

 

Des processus participatifs « en vogue » souvent stéréotypés, voire instrumentalisés

Le développement de la concertation de projet est bien réel mais reste néanmoins un dispositif relativement jeune en France, qui n’a pas pleinement quitté sa phase d’expérimentation avec ses limites et ses tâtonnements.

Une démarche détournée ?

Elus et villes peuvent sombrer dans l’écueil d’une concertation prétexte, qui s’attache davantage à soutenir des velléités électoralistes qu’à répondre aux attentes des habitants. La démarche participative, lorsqu’elle est au service d’intérêts communicationnels, apparait comme un moyen de favoriser l’acceptabilité d’un projet, en restreignant la parole citoyenne à une simple incantation.

Des process stéréotypés ?

Les ateliers participatifs se réalisent, trop souvent, selon des méthodes génériques, mobilisant des outils identiques – ateliers en « format cabaret », post-it, balade urbaine... et, de façon reproductible sur des projets aux contextes territoriaux et sociaux hétérogènes. En réalité, l’orientation donnée à une stratégie de concertation conditionne les résultats du processus participatif. Une démarche standardisée et figée conduit regrettablement à des réponses et propositions peu susceptibles de produire une véritable plus-value citoyenne au projet.

La pandémie a conduit à un renouvellement des approches et à une réinvention des pratiques. Elle a permis la démocratisation du « distanciel » et la facilitation des échanges, elle a aussi ouvert la porte de l’expérimentation afin d’assurer la continuité implication des habitants durant ces périodes de crise sanitaire. Ces nouvelles méthodes ont toutefois très vite démontré leurs limites.  Elles ont intensifié les problématiques intrinsèques de la concertation : une exacerbation du mutisme de certains habitants ou catégorie d’habitant et un accroissement de la défiance que peuvent porter certains citoyens envers des acteurs de la fonction publique.

En négatif se dessinent les intangibles et les gages de réussite des processus participatifs : une certaine forme de convivialité, des moments de partage et de rencontre. Elles ont également révélé la dimension ancrée du projet urbain, inexorablement lié à un lieu, que les espaces numériques ne peuvent suppléer. À cela s’ajoute des questions de fractures numériques présentes au sein de certains quartiers et/ou d’une fracture générationnelle qui ne permettent pas d’atteindre un panel représentatif de la population

Des temporalités dissonantes ?

Les processus collaboratifs se réalisent le plus souvent en amont de la livraison d’un projet, de plusieurs mois, et quelques fois, de plusieurs années. Cette approche de la participation habitante, dans laquelle l’horizon de la réalisation est souvent éloigné, génère des longs temps de latence où le caractère impérieux de certaines problématiques quotidiennes reste irrésolu. Cela a pour corolaire de produire de l’incompréhension auprès des habitants, voire faire état d’amertume face à une absence de résultats effectifs de leur contribution au projet. Ces sentiments peuvent notamment accentuer des phénomènes de défiance vis-à-vis de l’équipe de projet et plus largement des institutions locales, et ainsi ne pas assurer la bonne tenue d’une future démarche participative.

Quelques pistes pour une concertation vertueuse…

L’itération comme gage de réussite de la démarche participative

La réussite d’une démarche de projet en général et d’une démarche de concertation en particulier est souvent déterminée par la faculté d’une méthodologie à se réécrire chemin faisant. Le temps long de la ville implique de pouvoir s’ajuster face aux vicissitudes d’un projet, à s’autoriser à revenir sur une approche qui n’aurait pas prouvé son efficience. Un projet urbain qui alloue une part ambitieuse à l’implication citoyenne, s’expose à la contingence, à l’imprévu. Il est donc tenu de réinterroger sans cesse ses méthodes et principes d’intervention.

Il s’agit préférablement de s’inscrire dans un exercice itératif qui rompt avec les démarches traditionnelles de projet, aux méthodologies linéaires et séquencées. C’est un exercice souvent complexe, au sein duquel les équipes de projet doivent apprendre à dialoguer et à travailler autrement…

Cette agilité attendue nécessite que les maîtrises d’ouvrages dépassent les cadres formatés des missions de maitrises d’œuvre classiques (diagnostic, scénarios, avant projet , etc…) pour laisser une certaine souplesse dans la mise en œuvre du processus de concertation, de donner du temps à la concertation de s’installer afin d’enrichir les programmes et propositions des maîtres d’œuvres.

Proroger le processus participatif aux phases opérationnelles

Même si la participation citoyenne est attendue/entendue, en amont du projet pour co-spécifier les grands enjeux d’une opération d’aménagement et de co-élaborer objectifs et trame programmatique, l’implication des habitants sur les étapes ultérieures est tout aussi cruciale pour maintenir une dynamique collaborative et poursuivre l’engagement pris auprès d’eux.

De nouvelles modalités participatives doivent être appréhendées dans les phases opérationnelles et de réalisations, telles que le suivi de chantier, la gestion des nuisances ou l’occupation temporaire peuvent être l’occasion de maintenir le lien avec les habitants et amplifier le dialogue, accompagner le changement.